Le spectre de l'autocar (1/3)
Cette histoire peut paraître alambiquée au
premier abord (de la route) mais ce n’est pas le cas. Tout commença
alors que je déjeunais avec Jules Huberlu, un collègue professoral de
l’université. Faute de grives, on mange des merles, dit-on de manière
ridicule de temps en temps. Et bien là c’était une variante. Faute de
temps, on mange des surgelés ! Nous étions en effet au restaurant
universitaire, dans la pièce à part réservée à l’élite et non aux
fougueuses têtes estudiantines. Le menu, cependant, n’était pas
différent et la plus lourde tâche du cuisinier consistait à ne pas se
tromper de touche pour programmer le four à micro-ondes. Autant dire
que la nourriture était infecte, heureusement que notre discussion
rehaussait le niveau d’humanité.
Mr. Huberlu, qu’on appelait
Lulu en cachette, était professeur d’histoire médiévale, ce qui pour
les néophytes consiste à évoquer les événements du 5ème au 15ème
siècle, grosso modo. Or il s’intéressait à une église du 13ème siècle
au caractère tout à fait spécial puisqu’elle avait été le théâtre d’un
fait contemporain majeur pour moi (mais qui vous serait inconnu car il
faut être très cultivé pour le connaître). J’étais donc moi-même très
attaché à ce lieu biblique et Lulu le savait. Il me proposait donc
d’accompagner le groupe des anciens de la faculté pour une visite de
courtoisie. Non mécontent de pouvoir étaler ma science auprès de
vieillards grabataires, j’acceptais bien volontiers. L’excursion était
programmée pour le week-end suivant. Nous partirions le samedi à l’aube
et reviendrions le dimanche en soirée. « Pour dormir, on pourra
toujours dormir à l’autel », sortis-je finement, la moumoute rigolarde.
Lulu, après avoir calmé son fou rire me dit que tout était prévu de ce
côté-là. C’est tout ce qu’il m’apprit, voulant me laisser le doux
agrément des surprises de voyage. Je savais simplement qu’il fallait se
rendre à 06h45 sur le parking de l’université le samedi à venir.
Connaissant bien Lulu, j’écartais ma peur d’un guet-apens, une peur
justifiée par l’heure si matinale de la convocation.
Le
vendredi suivant, je flânais dans le centre-ville à la recherche de mes
dernières affaires pour le week-end. La météo annonçait de la pluie, je
choisissais donc de ne pas l’écouter et de prendre possession d’un
nouveau chapeau de paille, au fond travaillé pour que la moumoute ne
reste pas accrochée. Cette mésaventure m’était en effet arrivée
plusieurs fois. Je profitais également de la proximité d’un opticien
pour me procurer les indispensables clips à accrocher aux lunettes,
pour me protéger du soleil. Une chemise à carreaux et un appareil
photographique jetable achetés plus tard, je rentrais chez moi pour
parfaire mon apparence physique, ou tout du moins hygiénique.
Je
me lavais les cheveux en même temps que les dents, grâce à l’avantage
d’avoir une moumoute qui doit barboter trois minutes dans une lotion
spéciale. Je nettoyais ensuite mes lunettes pour la troisième et
dernière fois de l’année, et j’étais fin prêt à aller me coucher, déjà
prêt à faire bonne figure le lendemain… dans tous les sens du terme, ou
plutôt de l’expression dans ce cas précis.
Samedi matin, le
réveil annonçait 05:12 lorsque j’ouvrais mon premier œil, 05:17 lorsque
j’ouvrais le second, et 05:22 une fois mes lunettes mises. Ce n’est pas
humain de se lever si tôt, c’est moi qui vous le dis ! Heureusement,
pour être sûr d’être prêt à temps, j’avais programmé le réveil à 04:00.
Une heure et vingt-deux minutes pour en arriver à mettre mes lunettes,
c’était un bon temps dont j’étais ma foi satisfait !
Après un
petit-déjeuner d’ogre, je laissais les os des petits enfants dans la
poubelle - non c’est une plaisanterie - je rangeais le beurre dans le
placard et les « bisseucottes » dans le réfrigérateur, une étourderie
dont je me rendrais compte à mon retour, due à mon réveil brutal.
Quelques
minutes plus tard, je partais en direction du parking de l’université.
Alors que j’arrivais sur ce lieu de rendez-vous motorisé, je les vis
tous ! J’avais en effet cinq minutes de retard, c’était bien assez pour
que tous les petits vieux ponctuels vous regardent d’un œil vif, seule
partie de leur organisme qui pouvait être affublée d’un tel adjectif…
A suivre...