Les cigares de Calamar (2/2)
Calamar se serait appelé Poisson-scie, cela
aurait été du pareil au même. J’étais littéralement scié par la leçon
d’humilité qu’il venait de me donner. Me sentant peu à l’aise, je
restais muet comme une carpe pendant deux minutes. On aurait donc dit
deux poissons qui s’observaient. Sentant bien qu’il avait pris le
dessus de manière brillante, il sortit de sa sacoche une boîte de
cigares cubains, haute définition, et m’en proposa un. Peu habitué à ce
genre de consommation, j’en prenais un car tous les moyens étaient bons
pour tenter de me rattraper un peu. Malgré tout, le cigare faisait
tâche avec la verveine.
Le cigare me fit à peu près le même
effet que si j’avais fumé un calumet de la paix, aux Amériques. Du
coup, je sortis progressivement de ma torpeur honteuse.
Intrigué par
le métier à responsabilité de Jean, je m’empressai de lui poser moult
questions en rapport, tout excité que j’étais par cette découverte.
Etrangement,
il ne semblait plus dans son assiette, surtout qu’il avait seulement un
verre, et me répondait à côté. Je m’aperçus très vite que quelque chose
ne tournait pas rond. Par contre, ma tête ronde, elle, tournait, et
plutôt fortement.
Je finis donc par me lever, en m’excusant
poliment, pour prendre l’air. Alors que je respirais profondément
l’atmosphère polluée du dehors, un gendarme passa à côté de moi et
constata mon air extasié. Il me demanda si je me sentais bien, et je
lui répondis (d’après le rapport de police qui suivit) : « Tout va très
bien madame la marquise ! J’ai juste fumé un drôle de cigare et
j’aimerais bien soulever votre jupe, maintenant ! »
Oui, chers
lecteurs, cette parole scandaleuse était bien la mienne. Sentant
l’entourloupe, et commençant à croire que mon air extasié portait bien
son nom, l’homme au képi me demanda si j’étais seul. Je lui répondis
que non et le ramena avec moi à la table de Jean Calamar.
« Nom d’une truite ! » s’écria le gendarme, « Calamar ! Tu es fait ! ».
Quelques heures plus tard, j’étais lavé de tout soupçon et je rentrais chez moi. Je vous dois maintenant des explications.
Jean
Calamar était en réalité un escroc notoire, un de ceux qu’on appelle
familièrement maquereau ou requin. Pas le genre de garçon à avoir la
raie au milieu, donc. Il avait détourné des fonds d’entreprises et
utilisé ses fonds de tiroirs pour s’approprier de la drogue, une
calamité dans laquelle il était tombé à la fin de ses études ratées. Il
s’était inventé toute cette carrière et cet esprit arrogant pour parer
à sa faiblesse morale et se mettre en avant.
Sans le savoir, j’avais
aidé à résoudre une enquête policière. C’est aussi cela la classe
internationale. Tel l’Inspecteur Gadget - notez la profondeur de la
référence - j’avais servi la bonne cause sans même m’en rendre compte.
Ma réputation d’enquêteur occasionnel ne pouvait en être que renforcée,
d’autant plus que là, j’avais flairé un gros poisson !
Alors que
les sardines sont le plus souvent à l’huile, Calamar fut jeté à
l’ombre. Très vite, il dépérit totalement. Il se laissa aller et devint
rapidement gros comme une baleine, à force d’aller au « faste-fode » de
la prison. De plus, il sentait le hareng, avait une haleine de phoque
et sa beauté naturelle avait tout de celle du thon rouge de
méditerranée. Du coup, il était poisson clown malgré lui car tous les
détenus se moquaient de sa personne. Il avait de quoi être médusé !
Je ne pouvais m’empêcher d’avoir de la compassion pour Calamar, qui était bon camarade malgré ses rêves de gloire.
Pour lui, l’histoire se finissait… d’une manière un peu sèche…
FIN.