Le secret d'Eulalie Corne (1/3)
Qui aurait dit que le charme de Riton Lacapuche
ferait effet un jour, après des années de jonglage, tel un
saltimbanque, entre une indifférence poussée et des tentatives ratées ?
Personne sans doute, et certainement pas moi. Pourtant… mais reprenons
depuis le début cette histoire merveilleuse !
Tout commença un
soir de printemps. Avachi dans mon fauteuil dépliant – car
l’enseignant-chercheur a les moyens pour ce genre de luxe – je
regardais, béat, le regard niais, un de ses multiples films romantiques
qui fleurissent à l’orée des beaux jours sur tous les petits écrans de
la terre, voire de l’univers mais n’exagérons rien car après tout, nous
ne connaissons rien de l’univers des martiens.
Les conditions
étaient optimales pour que je m’envolasse dans des rêves étoilées, des
rêves d’amour. Je tenais dans ma main droite une tasse de verveine,
tiède à point pour éviter les brûlures ou le rejet glacé. Ma main
gauche, elle, tenait la télécommande de manière machinale, bien que
rien au monde ne m’aurait fait changer de chaîne à ce moment-là, à part
une coupure de courant bien sûr.
A cause, ou devrais-je dire
grâce à de multiples événements, comme la vision de jeunes amoureux se
bécotant sur les bancs publics, ou encore celle d’oiseaux chantonnant
gaiement dans une harmonie parfaite de petit couple heureux, je m’étais
mis Martel en tête de goûter à l’amour une nouvelle fois, et de manière
plus heureuse et moins honteuse qu’avec la mère de Fisseuton*. Je
précise pour les esprits fragiles qu’il ne s’agissait évidemment pas de
se mettre Gervais Martel en tête, l’actuel président du Racing Club de
Lens qui n’officiait pas encore, mais bel et bien Bernard Martel, mon
boulanger d’alors.
Le film aidant (mais pas de la mer), je
laissais mon esprit d’éminent intellectuel dresser une liste de
potentielles conquêtes. Elles étaient plusieurs, mais une seule allait
échapper à l’élimination.
J’écartais tout d’abord ma jeune et belle
collègue d’histoire ancienne, car je me voyais mal supporter toute une
journée des discussions sur les mœurs grecques d’avant Jésus-Christ,
dont je n’avais que faire, et c’est toujours le cas actuellement. Et
puis, peut-être aussi que séduire une jeune et belle demoiselle, les
deux à la fois, était une tâche trop ardue pour un homme comme moi.
Je
pensais ensuite à ma jolie collègue d’histoire moderne, mais j’avais
beau avoir supprimé le terme « jeune » du descriptif ce qui, à
fortiori, me laissait plus de chances, je n’avais guère plus envie de
subir Louis XIV et sa cour à longueur de journées, ou les guerres de
religion et tout le pataquès.
Ce qu’il me fallait, c’était une
contemporanéiste, une femme de ma période, qui comprenne qu’on puisse
s’intéresser à l’histoire des aspirateurs hongrois sans pour autant
être un détraqué mental. Malheureusement, la seule personne disponible
rentrant dans cette catégorie était bien trop laide pour que je puisse
me motiver.
J’étais perdu, je ne trouvais personne qui puisse
répondre à mes attentes à la faculté. Quand soudain, j’eus l’idée
magique de songer aux personnes extérieures. Cela va de soi évidemment,
mais encore fallait-il y penser ! Assez de corporatisme, que diable !
Ouvrons les frontières après tout, l’essentiel étant de ne pas tomber
sur une gueuse originaire des bas-fonds ruraux.
Et là… j’eus la
réminiscence, c’est-à-dire – je précise pour les pauvres – le souvenir,
de cette femme que j’avais rencontrée peu de temps auparavant… Eulalie
Corne !
A suivre…