Le secret d'Eulalie Corne (3/3)
Une heure plus tard, nous étions attablés dans
la cuisine d’un appartement cossu. Nous nous regardions, comme deux
benêts, devant un verre de vin et un plat de pâtes italiennes finement
préparées. C’est alors que ce dialogue s’engagea :
-Riton, il faut que je vous avoue quelque chose… j’ai un secret.
-Vous n’êtes point belle ? J’ai remarqué, oui…
-Hi hi hi, c’est vrai. Mais pourquoi vous intéresser à moi dans ce cas ?
-Pour votre beauté intérieure qui brille comme un ver luisant, très chère.
-C’est
vraiment très gentil, mais il serait vain de vous acharner. Je me suis
enlaidie volontairement pour qu’on me laisse tranquille. Mais vous
m’avez surprise et charmée, avec vos grands mots idiots et votre
moumoute de chez Poileucaillou…
-… Vous connaissez Raoul Poileucaillou, de Montaxy* ?
-Oh
oui ! A vrai dire, mon véritable métier est de tout savoir. Et c’est là
mon secret. Vous m’avez l’air intègre et bon… puis-je vous faire
confiance ?
-Je serai muet comme un aspirateur que l’on aurait débranché.
-Très
bien. Je suis en vérité membre des services secrets. Sous cette
couverture d’archiviste, je suis chargée de surveiller le directeur des
archives, suspecté de trafic de faux documents. J’ai lu en me
renseignant sur vous que aviez déjà résolu quelques enquêtes. Je pense
donc, en tant que connaisseur, que vous me rendrez le service de ne pas
trahir mon secret.
-Bien sûr que non. C’est une grande joie pour moi de rencontrer une personne à la vie si dangereuse.
-A
ce propos, après ce soir ne cherchez pas à me revoir. Cet appartement
est une couverture, tout comme mon nom bien évidemment. Et ce que vous
voyez posé sur le lit, là-bas, c’est aussi une couverture…
Eulalie
avait été charmée par mon visage innocent et mon humour exquis. Elle
était surtout dans le même cas que moi, désespérée d’être privée
d’aventure amoureuse, de par son métier à haut risque. Après m’avoir
révélé son secret, encore plus surréaliste qu’André Breton, elle
m’embrassa goulûment. Ce moment était d’autant plus fantastique qu’elle
avait retiré sa perruque grise (de chez Poileucaillou, tout
s’explique), ses lunettes immondes et son faux nez, et qu’elle était en
réalité belle comme le jour.
Nous nous retrouvâmes ensuite dans
son lit douillet. Nous envoyâmes au diable la couverture et nous nous
blottîmes l’un contre l’autre. La suite, elle rentre dans le domaine
privé.
Le lendemain, nous nous séparions à jamais...
Quelques
jours après, j’apprenais dans le journal que le directeur des archives
avait été arrêté par la maréchaussée. Il était soupçonné d’avoir
falsifié des documents, pour étouffer une affaire de viol mettant en
cause les hautes autorités de la ville en 1878. Il voulait ainsi
préserver leur mérite et ne pas tâcher leur réputation, d’autant plus
qu’une des familles impliquées continuait d’occuper de hautes
fonctions, dans un pays étranger.
Je comprenais maintenant d’où
était originaire Eulalie. Mais je ne pouvais pas la revoir, sous peine
de lui faire courir de gros risques…
Cette aventure d’un soir,
au contexte rocambolesque, aurait pu me laisser un goût amer dans la
bouche. Mais ce ne fut pas le cas. J’avais vécu une aventure
extraordinaire, et j’en garde encore aujourd’hui un souvenir
indélébile. Peut-être est-ce parce que je n’ai jamais eu le loisir de
vivre un moment semblable, depuis…
FIN.
* Voir On a marché sur Hubert et La moumoute cassée