Le chat Oprince dort
« Miaou ron ron zzzzzzzzzzzz », me raconta
Mirogémoto Kaiwa. Le spécialiste des motocyclettes n’avait pas perdu
les pédales, non. Le brave homme, que j’avais déjà tiré de l’embarras*,
me sollicitait pour une nouvelle énigme. Il me transmettait les
dernières paroles de son chat, Oprince. Ce dernier s’était endormi la
veille au soir, et ne se réveillait pas.
Cette malédiction
féline m’interpella. Il fallait prendre les choses en main rapidement,
afin que la pauvre bête se réveille à temps pour ne pas mourir de faim,
ou de soif, ou de chaud, ou de froid, ou que sais-je encore.
Que
le matou Oprince se soit endormi ne posait guère de problème. Mais
pourquoi diable dormait-il encore vingt-quatre heures après ? Et
pourquoi diable Mirogémoto m’avait contacté, moi, qui me moque
éperdument de ces mammifères à pattes ?
Il avait commencé, en
toute logique, sans grande surprise et bien évidemment, par appeler le
vétérinaire. Ce dernier, déjà pris par les crampes d’estomac d’un
hippopotame hongrois, n’avait pas pu se déplacer d’urgence. Il s’était
donc rabattu sur Riton Lacapuche, dont la réputation d’enquêteur éclair
n’était plus à faire.
J’arrête maintenant de m’évoquer à la troisième personne et au passé, pour poursuivre la narration de cette anecdote animalière.
C’est
en motocyclette que nous rejoignîmes la propriété des Kaiwa. Mimi
conduisait, et je m’agrippai à son blouson de loubard. En arrivant,
j’eus toutes les peines du monde à ôter le casque sans froisser ma
moumoute.
Krapatuchita, la femme de Mirogémoto, nous attendait en
pleurs. Oprince dormait encore et la pauvre Krakra était inconsolable.
Je lui offris mon mouchoir, dans lequel elle s’engouffra pour sécher
ses larmes. Lorsque je la vis fuir en criant vers la salle de bains, je
compris tout de suite que j’avais oublié une chose… le mouchoir avait
déjà servi.
Après cette honte carabinée qui me valut les foudres
de Krakra, nous nous rendîmes dans la cuisine, où Oprince dormait dans
sa litière.
« La soupe est servie… Oh là là, une souris !...
Un oiseau à la fenêtre !... Viens Azraël, on va capturer les
schtroumpfs !... Oh la jolie chatte qui passe dans la rue ! »… rien à
faire ! J’essayai de susciter une curiosité chez le matou, sans succès.
Pour le réveiller, mieux valait savoir de quoi il souffrait. Nous
nous interrogeâmes longuement à ce sujet. Il ne pouvait point être
malade, puisqu’un chat ne peut pas avoir une fièvre de cheval. De même,
un coup de fatigue était à écarter, car même s’il eut couru un marathon
ou dansé le charleston deux heures durant, il s’en serait remis plus
vite. Quant au coup de la belle au bois dormant, il n’était plausible
que dans une fiction, et puis faire ça à un chat eut été une bien drôle
d’idée. Au cas où, je me dévouai tout de même pour lui faire du bouche
à bouche, mais il n’ouvra pas ne serait-ce qu’un huitième d’oeil.
«
Bain go ! », m’exclamai-je soudainement. Je ne voyais en effet qu’une
seule et dernière cause du sommeil de l’animal, la nourriture qu’il
avait ingurgitée ! Mes deux hôtes m’affirmèrent que sa gamelle était
parfaitement saine. Mais dans la foulée, l’œil de Krakra se mit à luire
intensément, signe d’une présence d’esprit.
En regardant
attentivement la gamelle, elle avait trouvé la clé du mystère. Deux
cachets se trouvaient mêlées à la pâtée nauséabonde. Elle m’expliqua
qu’elle prenait des somnifères qui se trouvaient dans le placard tout
proche. Par inadvertance, elle en aura fait tomber quelques-uns et le
matou gourmand aura jeté dessus son dévolu.
Krakra m’avait
volé la vedette en trouvant la solution, mais après l’affaire du
mouchoir, je ne pouvais pas lui en vouloir… d’autant plus que tout
était de sa faute. Je la saluais poliment, puis Mimi me ramenait chez
moi, et s’excusait de m’avoir dérangé pour si peu.
Le
lendemain matin, Oprince se réveillait. Quant à moi, après l’escapade
nocturne en motocyclette, j’avais un chat dans la gorge…
FIN.
* Voir Les Bijoux de la Kaiwa