Riton obéit à l'heure noire (2/2)
Une fois n’est pas coutume, je ne retranscrirai
pas purement et simplement la conversation téléphonique que j’eus avec
mon interlocuteur. J’en profite pour répondre à certains héritiers de
la Perfide Albion qui jugent ce procédé avantageux car il permet de
gagner honteusement une place considérable. Je leur rétorquerai que
l’écriture est ma passion et que je n’ai aucune raison de me simplifier
la tâche. De plus, je ne cède en rien à la paresse puisque se rappeler
d’une conversation téléphonique au mot près demande une concentration
extrême, surtout quand la conversation date de plusieurs années.
Enfin
passons sur ces énergumènes ! Mon interlocuteur était loin d’être
l’effrayant personnage que j’avais pu imaginer, puisqu’il s’agissait ni
plus ni moins (ni égal) de mon ami Jean-Guy de Montaxy ! Vous savez,
l’homme qui hurla à la mort lorsqu’il me vit nu-tête !
Nous
discutions plaisamment de la pluie, du beau temps et des tempêtes de
neige quand je lui appris que j’avais égaré la matrice de mon futur
ouvrage. Jean-Guy fut alors d’un réconfort précieux. Il me fit
comprendre que cette perte n’était pas si grave. Il me rappela en effet
le terrible destin de ses peuplades asiatiques ou américaines, qui
subissent régulièrement, et avec un fracas notoire, les colères de Dame
Nature. Il me rappela également le terrible sort de certaines peuplades
africaines, confrontées en permanence à la faim et à la maladie. Il
poursuivit pendant de longues minutes, multipliant les exemples de la
folie humaine et du malheur qu’elle engendre, en concluant que
finalement, nous avions bien de la chance de vivre en France.
Après
avoir pleuré à chaudes larmes, et usé une bonne douzaine de mouchoirs,
je raccrochais en remerciant infiniment Jean-Guy pour ses bonnes
paroles, pleines de joie et idéales pour me remonter le moral. Cela
sert aussi à ça, un ami.
Encore tout émoustillé par cette
conversation, je m’asseyais sur le divan du salon. Mais, au moment même
où mes fesses se posaient lourdement sur la surface confortable, je
sentais une étrange et inhabituelle sensation de dureté.
« Y a des
loups là ! » m’exclamai-je soudainement ! En tant qu’athée distingué,
j’avais en effet trouvé une parade pour ne pas utiliser le terme «
Alléluia ». La suite est bien connue de moi-même, et elle le sera de
vous dans quelques instants.
La nuit précédente, j’avais relu
mon manuscrit une dernière fois pour m’assurer qu’il était parfait.
Mais, tombant de fatigue, je m’étais assoupi sur le divan. Mes
mouvements nuitaux avaient fait le reste ! Le manuscrit était allé se
nicher à l’intérieur du canapé chenapan, qui riait d’avance à la bonne
blague qu’il allait me faire.
Je pris aussitôt mon combiné
téléphonique pour rappeler Jean-Guy. Je le remerciai une nouvelle fois
! Sans son intervention, je ne me serais pas avachi de la sorte et je
n’aurais jamais retrouvé ce texte, si précieux pour la science (et pour
les quelques subsides qu’il allait me rapporter, soit dit en passant).
Car
après tout, l’univers est bien cruel, mais ce n’est pas une raison pour
ne pas profiter pleinement de sa situation, en se disant qu’on a bien
de la veine, de boire de la verveine.
Le lendemain après-midi
- car le matin je dormis - je rentrais tout sourire dans les bureaux de
mon éditeur. Une nouvelle fois, Riton Lacapuche obéissait à l’heure
noire…
FIN.