Essuie-glaces et coups fourrés (2/3)
« T’es tout rouge, Riton ! Ne me dis pas que tu
as encore un problème de papier toilette ? ». Cette phrase qui
introduit en finesse cette deuxième partie est à mettre à l’actif de
Gontran des Capucines, le sémillant spécialiste des chambres à air
gastéropodes du Népal amérindien. Celui-là même qui avait assisté à
l’épisode du lotus rose, au cours duquel j’avais dû utiliser ma
moumoute à des fins peu glorieuses*. Arthur de la Brave-Vache était là
également, et souriait en se remémorant ce moment joyeux (pour lui).
Mis à part cette boutade de Gontran, nous n’y fîmes plus allusion par
la suite.
Le colloque se déroula parfaitement bien. De tous les
intervenants, c’est Arthur qui fit le plus sensation. Il faut dire que
son argumentaire au sujet de la présence de vaches à lait au pôle sud
en 1812 était imparable ! Quant à moi, je m’en tirais avec les honneurs
suite à mon plaidoyer en faveur des carnets de chèque islandais datant
des années 1950.
Suite à cette première journée de travail,
nous poursuivîmes nos discussions hautement intellectuelles autour d’un
bon repas, servi au Georges, le seul restaurant trois étoiles de la
région.
Antonin Carême, le célèbre cuisinier de Talleyrand, n’aurait
pas fait mieux ! Crudités de saison avec leur accompagnement de pâtes
de fruits, entrecôtes de bœuf à la sauce pyrénéenne, céleri rémoulade à
la limonade du Languedoc, lentilles des Seychelles aux yeux pochés
d’esturgeon, gratin de mouton avec pommes de terre en robe de chambre,
artichauts en peignoir et carottes en pyjama nous aidèrent à passer une
soirée agréable. Si je tiens compte des vins liquoreux ou secs - mais
toujours excellents - qui accompagnaient le tout, des quinze desserts
et de la verveine haute tenue qu’on nous proposa en guise de digestif,
je peux assurément vous dire que nous mangeâmes mieux que certains rois
en leurs temps.
Ma nuit fut pleine de rêves dorés au cours desquels les odeurs de cuisine parfumèrent avec délice mon inconscient.
Lorsque
mon réveil mit fin à ces plaisirs enchanteurs, je repris mes vieilles
habitudes. Tel un sans-dent replaçant son dentier, j’enfilai ma
moumoute après l’avoir brossée soigneusement. J’étais paré pour vivre
les dernières heures du colloque, et reprendre la route à la fin de la
matinée.
Après des adieux déchirants avec mes collègues
distingués, je rangeai mon mouchoir et récupérai ma 2CV. Le temps
s’était couvert, comme si le ciel voulait lui aussi témoigner de sa
tristesse.
Le trajet fut un peu plus mouvementé qu’à l’aller,
et la décence m’interdit de rentrer dans les détails car des enfants me
lisent peut-être (et ne doivent rien comprendre). Toujours est-il que
j’arrivais à deux pas, enfin non à deux encablures, enfin non à deux
rues (voilà le mot que je cherchais) de chez moi, tout fier d’avoir
échappé à la pluie. A peine avais-je pensé cela que les premières
gouttes tombaient sur le pare-brise et s’intensifiaient rapidement.
J’enclenchai alors machinalement les essuie-glaces... mais je me rendis
compte soudain qu’ils ne fonctionnaient plus ! Devant ce drame qui me
conduisait à une mort certaine, enfin au pire à un accrochage, je
prenais mon courage à deux mains, ainsi que mon volant, et je manœuvrai
vigoureusement pour me garer sur le côté. Par chance, je vis une place
avant que le pare-brise ne soit entièrement recouvert…
Après
avoir mis mon veston à capuche, pour ne pas que ma moumoute ne frise,
je sortis de la voiture afin de diagnostiquer l’étendue du problème. Ce
fut vite fait… mes essuie-glaces avaient disparu !
A suivre…
* Voir Le lotus rose