Le cirque Bourboni (1/2)
Pas plus tard qu’il y a quelques mois, une année
ou dix ans, je ne sais plus, je me trouvais devant mon téléviseur
couleur (je me suis enfin décidé, oui). Le temps n’était pas au beau
fixe, mais mes relations avec la faculté l’étaient, puisque je n’avais
pas de cours à donner.
Toutes ces conditions aidant, j’avais décidé
de paresser nonchalamment, et ce malgré la lourde charge de travail qui
m’attendait.
Cette flemme inhabituelle m’avait tout bonnement
conduit devant la télévision, l’endroit idéal pour laisser ses neurones
en jachère. J’étais tombé (heureusement, sans me faire mal) sur la
troisième chaîne, qui retransmettait alors les somptueux débats
parlementaires, mettant en scène les plus brillants orateurs de la
République. Mais les grandes envolées dont le Palais Bourbon était le
théâtre devenaient parfois clownesques tant les acteurs étaient de
mauvaise foi, et je me demande d’ailleurs pourquoi je parle au passé.
En
complément, je dirais que la situation est sensiblement la même au
Palais du Luxembourg, où siègent les sénateurs, à la différence près
qu’il s’agit le plus souvent de grabataires séniles qui frôlent la
syncope à chaque intervention. Cela dit, on y trouve quelques élites,
mais aucune ne s’appelle Luc, car comme le dit le vieil adage, « Luc
s’embourbe au Luxembourg ».
Bref, revenons à nos moutons de
Panurge. Plusieurs sujets importants étaient à l’ordre du jour. Un
député du Doubs défendait les usines automobiles de son département ;
un autre l’industrie textile implantée dans sa circonscription ; le
Ministre du Logement répondait à plusieurs interpellations ; un
représentant du Rhône vantait les bienfaits des quenelles ; une
parlementaire de Bretagne s’inquiétait de la pénurie de production de
parapluies et de cirés, etc. Au fur et à mesure de la séance, les
sujets étaient de plus en plus saugrenus, mais ils avaient tous un
point commun, celui d’être ennuyeux à suivre. La preuve, quelques gros
plans suffisaient à montrer que l’hémicycle s’était transformé en lit
douillet pour une bonne partie des présents, surtout les chauves à
grosse bedaine.
Pour l’enseignant-chercheur que je suis, se
tenir informé de l’actualité, notamment politique, est une chose
primordiale. Cela permet de faire bonne figure en société, d’épater la
galerie estudiantine (même si pour cela il en faut peu), et surtout de
faire le lien, lorsque celui-ci est possible, entre ses propres travaux
historiques et les événements récents. Par exemple, dernièrement, je ne
me suis pas étonné de la crise financière. Mes travaux sur la situation
des pigeons voyageurs anorexiques du Pérou au 18ème siècle l’avaient
fortement prédite. Avec le recul, cela paraît évident, mais encore
fallait-il y penser !
Enfin, trêve de bavardages et de gloire
personnelle, cette nécessité d’être au courant de tout n’a rien de
déplaisante lorsqu’il s’agit de lire la presse quotidienne ou de suivre
le journal télévisé, surtout lorsque celui-ci est présenté par une
charmante créature qui vous aide à relativiser les drames. Je pense à
David Pujadas ou à Bruno Mazure, en son temps, qui est de loin le
préféré de mon nègre officiel.
Or, ce plaisir d’apprendre n’est
pas retrouvé en observant les vieux brigands du Parlement se vilipender
les uns les autres. Conséquence logique de tout cela, je ne tardai pas
à imiter les chauves au gros ventre, et je m’endormais profondément…
A suivre.