Les dix dauphines (1/3)
Avant toute chose, je tiens à préciser à mes
lecteurs chanceux que cette anecdote n’a rien à voir avec le charmant
cétacé aquatique qui amuse les enfants. N’allez-pas croire non plus que
je ne considère qu’une partie de mes lecteurs en disant lecteurs
chanceux, mon but ici n’étant évidemment pas de me montrer sectaire. Je
veux simplement dire que tout lecteur habitué à ma prose a forcément de
la chance, l’adjectif forme donc un tout avec le nom. Mais écoutez-moi
donc, ou plutôt lisez-moi lors des prochaines lignes, vous comprendrez
le titre, et puis oubliez cet avant-propos ridicule.
Un beau
matin de printemps, où les mères étaient occupées à allaiter leurs
bébés de manière monotone en écoutant le chant du pivert ou les quatre
saisons de Vivaldi, je reçus un drôle de courrier de la part de
Timothée, le brave postier du quartier. C’était une invitation pour une
soirée très prisée dans le milieu intellectuel, j’ai nommé la cérémonie
des Miss Tête. C’est plus ou moins l’équivalent de la cérémonie
honteuse des Miss France, Monde et autres Univers, sauf que là c’est
d’une part plus guindé, et d’autre part plus réglementé. En effet, les
candidates sélectionnées doivent impérativement être intelligentes, ce
n’est plus une option facultative comme pour les autres concours. Le
jury a alors la lourde tâche d’élire la plus belle des femmes
cultivées, celle qui rendra jalouse toutes les autres et fou de désir
tous les autres. Or, on m’invitait justement à prendre place dans le
jury final, qui devait départager les onze dernières candidates.
J’acceptai sans tarder, et avec grand plaisir, toujours prompt à aider
la science.
Deux ou trois jours plus tard, ma mémoire me fait
défaut, je donnais un cours sur la chicorée bon marché des années 1950.
Alors que j’abordais tranquillement les différents degrés de
température de l’eau pour la préparation de la boisson, un élève
s’amusa à dire que la température du plateau de télévision sur lequel
j’allais me trouver serait, elle, très élevée. Le fourbe avait lu ma
présence dans l’émission en parcourant le programme télévisuel. Je
rétorquai à ce freluquet que ce genre de lectures ne l’aiderait pas à
devenir un grand historien, ce qui lui cloua le bec et lui valut les
moqueries de ses congénères.
Le jour J arriva bien vite.
J’avais mis ma moumoute du dimanche et mon costume-cravate vert et
jaune, histoire de rester sobre. J’étais allé m’asseoir auprès de mes
confrères jurytologues, et non pas gérontologues. Nous étions sept,
comme les nains du dessin animé. Outre moi, il y avait deux autres
enseignants-chercheurs, un maître de conférences, un philosophe et deux
chroniqueurs mondains de bas étage. Autant dire que j’étais sans
contestation possible la personnalité la plus huppée du lot, et cela me
comblait de joie.
Jacques-Gérard Foucault, un homonyme de
l’autre, vint présenter la cérémonie qui était retransmise en direct
sur Intello-Tv, une chaîne câblée dont la durée de vie fut
malheureusement très courte. Le déroulement avait été prévu de la
manière suivante, les onze finalistes allaient exposer chacune leur
tour leurs qualités intellectuelles, puisque pour ce qui était du
physique, tout était parfaitement visible. C’est à ce moment très
précis, je m’en souviens très bien, que je pris mon pied (pour ôter un
caillou de ma chaussure).
A suivre…