Les douze traîneaux de Riton Lacapuche
Tous les ans, c’est le même refrain (de lutin),
la même chanson (de chapon), ou la même ritournelle (de Noël). Le 25
décembre est l’occasion pour les adultes de retomber en enfance et pour
les enfants de tomber tout court, tout excités qu’ils sont. La
blancheur du ciel rime souvent avec la neige éternelle, qui tombe elle
aussi et fleurit l’horizon d’une pureté sans nom. Mais je m’emballe, je
m’emballe – ce qui au demeurant n’est pas idiot en cette période de
cadeaux – mais j’en oublie le sujet qui me préoccupe aujourd’hui.
Je
me suis toujours demandé, au cours de ma longue et noble vie
d’intellectuel comblé, si j’aurais fait un bon père noël. Ce n’est pas
un questionnement très raffiné, je vous le concède, mais ce n’est pas
plus ridicule, quand on y pense, que de travailler sur les bigorneaux
carnivores des terres arides du Roussillon au 12ème siècle, ou sur la
contrebasse péruvienne des origines à nos jours.
Je pense, et je
suis là-dessus en parfait accord avec moi-même, que l’utilisation d’un
seul traîneau pour couvrir tout le globe est chose impossible. Cette
utopie, longtemps entretenue par les mythologistes les plus fervents
ainsi que par les spécialistes de la question de Noël, je pense à
Sémaphore Labuche ou à Barnabé Sapin, a forcément une alternative plus
réaliste. Je vous en propose une.
Que diriez-vous de douze
traîneaux ! Chacun aurait une mission bien particulière à remplir. Le
premier, le plus rempli justement (aux trois quarts à-peu-près), irait
jusque chez les enfants les plus défavorisés, apporter un chocolat (un
seul), un bonbon (un seul), ou un poisson (une sole). Un deuxième
convolerait, heu volerait vers les souliers des enfants plus aisés,
avec pour but de leur offrir, l’objet pas cher mais qui fait plaisir,
comme une paire de chaussettes ou de la pâte à modeler. Au même moment,
un autre passerait chez les plus riches, pour leur laisser ce gentil
mot :
« Chers petits amis, vous n’aurez rien puisque des cadeaux,
vous en avez toute l’année, et qu’il faut pas exagérer, je suis pas
l’armée du salut, et que si vous êtes pas contents, vos cadeaux, vous
pouvez vous les mettre dans le trululu, non parce que hein,
saperlipopette, faut pas pousser le bouchon trop loin, nom d’un p’tit
bonhomme de neige ! Bisous. »
Ensuite, un quatrième irait chez
les enfants intelligents, ceux qui ont compris que le seul et véritable
homme au bonnet rouge, c’est Jacques-Yves Cousteau, ou un clown. Cela
éviterait ainsi, en ce temps de crise, des dépenses inutiles.
D’ailleurs pendant qu’on est dans les restrictions, le cinquième
traîneau se sacrifierait pour être utilisé comme combustible, le
sixième offrirait ses rennes comme gibier, et le septième emmènerait un
peu de barbe de Père Noël à des confectionneurs de moumoutes blanches.
(Il faut bien que je pense un peu à ma retraite).
Dans le même
temps, les attelages huit à onze remercieraient ceux qui ne fêtent pas
Noël, soit parce qu’ils n’aiment pas ça (une boîte de chocolats), soit
parce qu’ils sont dépressifs (deux boîtes de chocolats) ou en prison
(une orange) ou les deux, soit parce qu’ils n’ont pas d’enfant (trois
boîtes de chocolats et une bouteille de champagne).
Le dernier,
enfin, serait un peu plus particulier. A défaut d’offrir des cadeaux,
il embarquerait à son bord David Copperfield, Sylvain Mirouf et Gérard
Majax, pour que ces derniers entretiennent la magie de Noël.
Voilà
donc quels seraient les douze traîneaux de Riton Lacapuche, s’il devait
prendre les rennes (ha ha ha) de l’opération Noël. Certains diront que
c’est une théorie pessimiste, je pense à Guy Relande ou à Jean-Marie
Laboule. Eh bien c’est faux, car j’aurais pu parler des bébés qui
brûlent à cause des guirlandes électriques, par exemple, mais je ne
l’ai pas fait car je sais rester digne ! A tous ceux qui sont en état
de le fêter, je souhaite un Joyeux Noël !