Tonton Philibert (2/2)
Le quatrième jour, la preuve était faite que la
faim m’avait fait manger et apprécier n’importe quoi. Je passais toute
ma journée à la selle, à expulser douloureusement les matières fécales
de mon jeune corps fragile. Pendant ce temps-là, tonton se remettait
lui aussi en selle, au niveau de l’alcool j’entends, en ne sirotant pas
une grenadine mais plusieurs packs de bières avec un compagnon de
beuverie. De retour au bercail, tonton Philibière me trouvait toujours
aussi mal en point, dans la même position et au même endroit. L’idée
lui vint alors de me donner un petit remontant, histoire que je
retrouve un peu de mine. Tonton vit que cela était bon, puisque mon
teint passa subitement du vert pâle au rouge vif. Cette eau de vie de
prune, de quinze ans d’âge, que j’avais prise pour une vulgaire tisane
à cause de mon innocente jeunesse, me plongea dans un sommeil
réparateur, et surtout, vous allez le voir, long.
Le cinquième jour, je dormis.
Le
sixième jour, en voyant que je ne me réveillais pas, tonton commença à
s’inquiéter de mon état de santé. Il prit alors son combiné
téléphonique - le temps des sans-fils et autres téléphones mobiles
étant encore bien loin - et appela la mairie pour savoir qui il devait
appeler. Le secrétaire, vraisemblablement éméché lui aussi, lui
conseilla d’appeler les renseignements, qui pourraient peut-être le
renseigner sur qui appeler. Tonton trouva que ce n’était pas idiot et
il s’exécuta (mais non, pas au sens premier du terme, bougres d’ânes).
L’hôtesse d’accueil des renseignements téléphoniques comprit assez
rapidement, à l’intonation de sa voix, qu’elle avait affaire à un
hurluberlu alcoolisé. Ainsi, lorsque les ambulanciers arrivèrent chez
tonton, c’était pour l’emmener lui, et non pas pour me secourir. On
l’emmena, il prit une douche froide, et on le lava avec du gel douche.
C’est la première fois qu’on lui en mettait, et tonton vit que cela
sentait bon.
Puisque le premier chapitre du Pentateuque s’arrête
à six jours, il n’y en eut pas de septième. C’est idiot mais c’est
comme ça, et puis c’est mon histoire alors si vous n’êtes pas contents,
je vous dis zut.
Le sixième jour toujours, donc, à la nuit, mes
parents débarquèrent dans la masure de tonton, enfin ils s’arrêtèrent
chez lui car ils n’étaient évidemment pas venus en bateau ! Surpris de
ne trouver personne, à part la porte ouverte, ils entrèrent et au bout
de quelques minutes, me découvrirent endormi dans la chambre du fond.
Papa me réveilla gentiment en me tapant sur l’épaule, et ça, tonton
avait visiblement oublié d’y penser. Fraîchement réveillé après 48h de
sommeil, je ne sus pas dire ce qui était arrivé à mon hôte.
Heureusement, comme le hasard fait parfois bien les choses (et qu’il
faut terminer cette histoire à cinq sous), les ambulanciers ramenèrent
tonton chez lui au même moment. Dégrisé par la douche, il avait
expliqué la situation à Monsieur Basile, le directeur de l’asile, qui
avait aussitôt ordonné à un véhicule de le reconduire à son domicile et
de prendre de mes nouvelles. J’avoue que cette attention envers ma
personne ne me déplût pas.
Ainsi s’achevait mon séjour
chaotique chez tonton Philibert. Étrangement, quand ils surent pourquoi
j’avais dormi si longtemps, mes parents ne m’envoyèrent plus jamais en
vacances chez lui.
Nous ne le vîmes d’ailleurs plus très souvent,
et le pauvre homme termina sa vie dans la solitude et la maladie. Selon
ses vœux, il fut incinéré. Il est vrai que tout objet imbibé d’alcool a
tendance à brûler plus vite. Ma famille, très catholique, aura lutté
jusqu’au bout pour qu'il soit mis en bière. En vain.
FIN.