Le secret de l'aubépine
Tout à l’heure, je sortais d’un repas bien
arrosé (par trois ou quatre seaux d’eau), le rituel du dimanche que
l’on s’évertue à poursuivre même quand les temps sont durs (car quand
ils sont mous c’est moins gênant). Un oncle généreux qui vous aide à
faire les courses, une cuisinière hors-pair, qui si elle n’a pas
inventé le fil à couper le beurre, aurait pu inventer le cordon bleu,
deux autres convives de la famille proche et moi-même, et c’était parti
pour un moment de bonheur comme on n’en fait plus.
Une fois
passées les différentes étapes, celle des petits fours, du morceau de
tourte, des six tranches de roastbeef avec haricots verts, pommes de
terre sautées et champignons en accompagnement, des quatre morceaux
énormes de fromages, et des deux desserts dénommés île flottante et
tarte aux pralines, c’est avec un certain soulagement que j’arrivais à
la ligne d’arrivée, ma petite verveine pour faciliter la digestion. Le
tout commenté par Léon Zitrone évidemment ! Je ne vous cache pas que
cette collation devait non seulement m’aider à me remettre de la
nourriture engloutie (par trois mètres de fond dans mon estomac), mais
aussi à faire passer les quelques boissons alcoolisées absorbées
pendant le repas et qu’il convient de ne pas mentionner ici sous peine
de voir la maréchaussée débarquer chez moi ensuite. Vous saurez
seulement qu’il y avait de la liqueur d’aubépine, même qu’en fait non
mais que ça m’arrange bien de le dire, car ça permet à l’histoire
d’avoir un titre sympathique. Hic !
Après ce repas digne des
menus des plus grands colloques internationaux de tous les temps, donc,
voire interplanétaires si l’on veut exagérer un chouilla mais pas trop,
j’eus une idée de génie. Plutôt que d’aller me reposer comme tout
individu normal ferait, ou d’aller me promener comme tout individu
normal mais un peu fou ferait, ou d’interpréter une chanson comme Léo
ferait, et si je racontais une histoire à mes chers lecteurs ? Ha ha ha
ha ha ! Ce rire nerveux était révélateur de mon état d’esprit à la fois
guilleret et désabusé. De toutes façons, me dis-je, je suis en retard
pour mercredi, il faut que je trouve quelque chose à dire, et l’envie
de dormir m’aidera peut-être à mettre en éveil mon inspiration (c’est
une phrase culte ça, qui si j’étais connu serait reprise dans les
dictionnaires de citations, si si ! Non mais c’est vrai mince, ces
phrases qu’on pense fantastiques parce qu’elles ont été prononcées par
un artiste élevé à ce rang par de vils observateurs totalement
partiaux, alors qu’elles pourraient avoir été inventées par le premier
quidam venu, et qu’elles doivent même l’avoir été pour la plupart, eh
bien moi ça me casse les bonbons et je le crie haut et fort ! Houuu,
saperlipopette de saperlipopette !
Hum, bon, revenons à
l’inspiration. L’alcool et la douleur stomacale se révèlent souvent
être de véritables machines à histoires, il suffit juste de noter les
idées au bon moment, et de les assembler par la suite. Ainsi, j’eus
l’idée de vous raconter mon périple en Laponie du Nord un jour de grand
vent, ou le jour où j’ai été récompensé pour « contribution à
l’histoire de la musique » lors des Brit Awards, ou bien la fois où
j’avais mis ma moumoute à l’envers lors d’un colloque sur le roi
Dagobert, un grand moment qui avait fait rire l’assistance et qui
m’avait fait passer pour un assisté. Bref, les idées fusaient comme un
ballon de football sur un terrain humide (nouvelle phrase culte, et à
ce propos je me rends compte que j’ai oublié de fermer la parenthèse
tout à l’heure lorsque je me suis énervé, du coup j’en mets deux ici
)).
Les idées fusaient oui (comme un ballon de football sur un
terrain humide, ou pour ne pas me répéter sur un terrain détrempé,
quoique ça ne colle pas car quand le terrain est trop gorgé d’eau le
ballon n’avance plus), mais j’eus soudain la grande idée, celle qui
allait à coup sûr me sauver du naufrage funeste de mes pensées
tragiques et alcoolisées me faisant déblatérer n’importe quoi tel le
maire de Champignac-en-Cambrousse, l’édile bien connu d’une célèbre
bande dessinée que mon nègre officiel recommande aux incultes, j’ai
nommé Spirou et Fantasio.
En fait, j’avais décidé de m’allonger
pour calmer mon esprit et penser les yeux fermés. Le résultat, vous
vous en doutez, fut que je m’endormis paisiblement… et voilà le secret
de l’aubépine, cette vilaine empêche de raconter des histoires !
FIN.