La route du Sud (2/4)
J’allais partir à la plage ! Ha ha ha ! En plein
mois de février ! Pendant que tout le monde se ridiculiserait au Grand
Bornand, à Super Besse ou à l’Alpe d’Huez, j’irais nager dans les eaux
bleues et tranquilles de la Méditerranée.
Ma place avait été
réservée pour le lendemain soir. J’avais fini par trouver un numéro de
téléphone grâce à la référence du minitel et j’étais tombé sur un homme
d’âge mûr et très poli qui m’avait donné tous les renseignements. Je
serais logé dans une luxueuse villa à deux pas de la plage, bien assez
grande pour contenir les trois enseignants ayant répondu à l’appel. Il
m’expliqua que l’annonce n’avait été que très peu répandue pour que les
plaisanciers en profitent un maximum. Sans doute était-ce aussi un peu
honteux d’y répondre, mais je n’avais rien à perdre… d’autant que le
prix était étrangement peu élevé pour un séjour de sept jours.
Bien
sûr, je trouvais cette histoire un peu louche. Un microclimat ? Y
avait-il une espèce de savant local assez fou pour avoir réalisé ce
rêve ? Bah, je verrais bien sur place. J’avais besoin de me changer les
idées, d’autant plus que mes recherches sur « les vaches aztèques et la
presse écrite des années 1900 » n’avançaient plus depuis des lustres.
J’étais au point mort et commençais à désespérer de trouver des témoins
à questionner. Si une tasse de verveine arrivait à me ragaillardir par
instants, un bon bol d’air me ferait le plus grand bien !
Le
soir, je préparais ma valise en prenant garde de ne rien oublier. Je la
refermais après y avoir glissé un maillot de bains moulant (rose
bonbon), des lunettes de soleil, un tube de crème solaire extra forte,
une moumoute de bain (comprenez par là une vieille moumoute usagée qui
ne risque rien), quelques serviettes, une chemise hawaïenne, une
chemise tahitienne, une chemise à carreaux, une chemise où j’avais
glissé quelques dissertations à corriger pour me donner bonne
conscience, un pantalon de golf (à la Tintin), un short, un bermuda,
quelques slips et chaussettes parmi les moins honteux de ma garde-robe,
une trousse de toilette, une trousse de secours, un stylo bille rouge
pour corriger les copies, un roman à l’eau de rose, un roman policier,
un gros pull pour les soirées fraîches, et quelques broutilles
supplémentaires. Le strict minimum.
Le soir, je préparais ma valise en prenant garde de ne rien oublier. Ah non, ça c’est déjà fait.
La
nuit, je rêvais que j’étais en pleine mer, entouré de sirènes et de
dauphins, en train de nager vigoureusement tel un athlète complet.
J’arrivais alors à la nage devant mes étudiants qui, eux, étaient à la
neige, frigorifiés avec leurs maillots de bain en me suppliant de leur
trouver des vêtements. Le plus véhément était le jeune Baptiste, qui
avait fait un exposé lamentable sur « la révolution de 1848 chez les
cigognes alsaciennes ». Et je riais, je riais, protégé que j’étais par
mon enveloppe de soleil.
Je riais encore, mais réellement
cette fois, en pensant à ce rêve idiot dans le train. Une vieille dame
acariâtre, sans doute une inspectrice des impôts à la retraite, me
regarda alors d’un œil mauvais, et je me sentis seul. Qu’à cela ne
tienne, me dis-je alors, en bon adepte des expressions bizarres… je
n’en ai plus pour très longtemps ! Dans deux heures, j’arriverai à la
gare de Coccinelle-la-Jolie, et on me conduira à la villa… à moi les
vacances !
A suivre…