Madame Angéline (1/4)
Je n’ai jamais été très loquace sur ma vie
sentimentale, pour la simple raison que celle-ci n’a jamais été très
étoffée. La fleur de l’âge, celle de ma jeunesse, ne fut pas une rose
magnifique mais plutôt un cactus hostile, si vous voyez ce que je veux
dire. C’est au cours de ces années où je n’étais encore qu’un simple –
mais talentueux – étudiant, qu’une rencontre universitaire changea mon
existence à jamais, pour la vie, et jusqu’à ce que mort s’en suive.
Elle
s’appelait Angéline, et je tiens à dire de suite qu’elle n’était pas
issue d’un croisement barbare entre Michel-Ange et Line Renaud, même si
elle roulait dans une voiture de cette marque. Evidemment, ça en jetait
moins que d’autres modèles plus luxueux, mais ça n’avait pas
d’importance. C’était sa simplicité qui me charmait, tout comme son
sourire, ses yeux coquins, ses cheveux toujours bien en place, sa fine
bouche et son front populaire… tout chez elle frôlait la perfection.
Le
jeune garçon que j’étais à l’époque, peu sûr de lui à part pour les
choses de l’Histoire, était troublé par sa personnalité, sa joie de
vivre, sa beauté extérieure et intérieure. En un mot, enfin en un
verbe, elle m’attirait.
Durant mon adolescence, je n’avais pas
suivi le chemin qu’empruntent la plupart de mes collègues masculins.
J’étais resté seul dans mon coin, tout timide que j’étais, et personne
n’avait réussi à me faire sortir de ce cocon. Aucune demoiselle ne
m’avait assez émoustillé pour que je franchisse le pas, et je regardais
avec dégoût et indifférence, tous ces beaux-parleurs mâles qui
n’avaient qu’une envie, tenir la main d’une jolie femelle.
Cette
sensation, je la ressentais enfin. Je comprenais alors pourquoi tous
les tombeurs de ces dames me paraissaient idiots et détestables au
lycée. Jamais auparavant, ma pensée n’avait été accaparée de la sorte
pour quelqu’un, à tel point que je me sentais mauvais dans tout ce que
j’entreprenais. Je ne cessais de penser à elle. Le matin sous la
douche, je l’imaginais avec moi. Elle partageait également mon
petit-déjeuner, m’accompagnait dans le bus et s’abritait avec moi sous
un parapluie en arrivant à la fac. Si Angélique était marquise des
anges, Angéline était la marquise de mes songes.
Nous ne nous
étions jamais vraiment parlé. Je me contentais de m’asseoir non loin
d’elle, en classe, lorsque sa présence était bien réelle. J’avais
retenu son nom lorsqu’elle était passée au tableau pour un exposé. Son
éloquence m’avait ébloui, et en dix minutes, j’étais devenu incollable
sur les philosophes antiques de Phrygie Hellespontique, ce qui était un
bel exploit de sa part tant ce sujet pouvait me barber. Depuis, je me
suis rasé, mais cette période continue de m’ennuyer.
Vint
ensuite le jour où je dus présenter à mon tour mon travail d’exposé.
J’avais hérité d’un magnifique sujet sur la pédérastie spartiate, et je
m’étais entraîné deux jours durant, afin d’être le meilleur possible le
jour J. Ce n’était pas vraiment pour les yeux du prof teigneux et
désagréable qui devait nous noter, mais pour ceux d’Angéline, que
j’espérais impressionner secrètement. C’était l’occasion rêvée pour me
mettre en avant et tâcher de lui taper dans l’œil, sans lui faire trop
de mal bien évidemment.
Ce fut un moment exécrable. Ma note finale
fut bonne et la classe entière fut impressionnée, mais je m’en fichais
éperdument. Angéline n’était pas venue…
Le lendemain, encore
déçu par cette fatalité désopilante, je me rendais à la bibliothèque,
le cœur triste. C’est alors que je la vis, assise seule à une table, et
que je faillis tomber dans les pommes lorsqu’elle me sourit, et me fit
signe d’approcher…
A suivre...