Les Autochtones de Cacataba (3/6)
Ô jungle, Ô puissante nature,
Prends pitié de nous, maigres
colosses,
Et écarte de nous les animaux féroces,
Pour éviter qu’on
leur serve de pâture...
Ainsi commença cette journée si
importante. Je ne goûtai décidément pas les rimes de Miguel, qui n’était
pas meilleur poète le matin que l’après-midi dans un autobus ;
cependant, j’étais plutôt d’accord avec ses propos, je dois bien
l’avouer.
En attendant les animaux, un petit déjeuner féroce
nous attendait, composé qu’il était de tortillas d’esturgeons au piment,
une spécialité locale. Cette curiosité gastronomique me mit en joie, et
je partis la fleur au fusil, tel un malheureux soldat à l’orée de la
Grande Guerre. J’espérais toutefois ne pas subir le même sort. Miguel,
lui, semblait plus soucieux et il me confia qu’il avait mal dormi à
cause de mes ronflements intempestifs.
Qu’à cela ne tienne, à 10h du
matin heure locale, nous nous engouffrions dans la jungle, après avoir
vérifié nos équipements une dernière fois. D’après Miguel, il serait
possible de découvrir les autochtones dans la journée, mais la prudence
nous avait poussé à emmener une tente.
La journée nous sembla
durer une éternité. Il fallut rapidement ôter la fleur du fusil pour
venir à bout des dangereux prédateurs animaliers que Miguel avait
pourtant essayé de repousser lors de son incantation matinale.
Heureusement, il était meilleur tireur que poète et se chargea à ma
place de vider les cartouches. Je m’en satisfaisais pleinement,
préférant nettement le rôle de la tête à celui des jambes.
Nous
retournâmes la carte de Miguel maintes et maintes fois, à la recherche
d’un indice qui nous mettrait sur la piste éventuelle de la trace d’une
présence des autochtones et de leur eau. En vin, pardon en vain.
Un
décision solennelle, votée à main levée, fut prise à la tombée de la
nuit. Par deux voix à zéro, nous décidâmes d’établir un campement et d’y
faire griller quelques vivres pour nous restaurer.
Pendant que
Miguel montait la tente après avoir allumé le feu, je lui mitonnais un
petit plat dont j’avais le secret. Je m’étais en effet muni d’une petite
poche isotherme afin d’emmener avec moi et de conserver des saucisses
de Strasbourg achetées à un petit producteur local lors d’un colloque en
Alsace, ainsi que tous les ingrédients nécessaires à la confection
d’une choucroute garnie traditionnelle.
La jungle prit alors des
allures de charmante petite chaumière française, tant les senteurs
libérées par la cuisson nous comblaient de joie.
L’instant était
magique. Nous aurions voulu arrêter le temps pour profiter à jamais des
bouchées de choux, certes un peu abimé par le voyage, et des saveurs du
plat. C’était sans compter sur notre mission, totalement mise de côté
dans ce moment d’extase, mais qui se rappela très vite à notre bon
souvenir.
En effet, nous vîmes avec effarement un groupe d’indigènes
s’approcher de notre campement de fortune. J’étais un peu vexé qu’ils
viennent interrompre la douceur de notre repas, et du coup j’oubliai
d’avoir peur. Miguel, moins envouté par la choucroute que moi, fut plus
prompt à réagir : "Ce sont eux ! s’écria-t-il. J’en suis sûr !"
A
suivre...