Hold-up au Crédit Bulle (1/3)
Au moment où je prends la plume, cet épisode est
– fort heureusement pour moi - de l’histoire ancienne, à ne pas
confondre avec l’histoire contemporaine que j’enseigne. Rien de tel
qu’un magnifique jeu de mot pour amorcer l’évocation d’un délicat
souvenir !
C’était il y a deux ou trois ans, je ne sais plus (le
souvenir a beau être traumatisant, il a le droit d’être imprécis).
Toujours est-il que, sauf dérèglement climatique ou quatrième
dimension, ce devait être en hiver, puisque je me souviens qu’il
neigeait et que j’avais froid aux pieds. J’étais pourtant
confortablement installé dans mon humble demeure, et le convecteur
électrique, plus communément appelé radiateur par les faibles, était
réglé au maximum. Mais rien n’y faisait ! Pas même la double paire de
chaussettes et la bouillotte brûlante posée sur mes chaussons. Il faut
dire qu’elle datait du temps de grand-maman et qu’elle n’était sans
doute plus très efficace.
Pour essayer d’enrayer cette
malédiction des pieds gelés, je décidais de tenter le diable en les
mettant dehors. Je pensais qu’un peu de marche, et donc d’exercice,
leur ferait retrouver une température agréable. Cela tombait bien, je
devais me rendre à la banque pour retirer de l’argent. En effet, il
fallait que je renouvelle ma cotisation annuelle à l’Association des
intellectuels historiens de France, une toute jeune entreprise me
correspondant tout à fait, mais présidée par de vieux bougons qui
n’acceptaient que l’argent liquide. Cela tombait bien aussi, mais là je
parle de la neige sur la chaussée.
Emmitouflés dans un parka La
Redoute, offert par Fisseuton à Noël, ma moumoute d’hiver (bien chaude
car rembourrée) et moi-même sortions dans la rue pour affronter le
froid polaire et ses flocons de neige rebelles. De plus, pour éviter de
trébucher comme un malpropre sur le verglas comme la plupart des
passants, je m’étais muni de chaussures antiglisse toujours aussi
efficaces, bien qu’un peu petites car elles dataient de Mathusalem,
c’est-à-dire de ma classe de neige à l’école primaire. Aaaah, le voyage
scolaire à Tignes ! Quel merveilleux souvenir ! Je me rappelle que la
monitrice était à tomber par terre, et elle l’était tellement que je
n’arrêtais pas de me casser la figure avec les skis. J’ai encore en
mémoire le son de sa voix, si douce, si charmante, et tout aussi
plaisante que la Tomme de Savoie. Et les paysages somptueux, et la
rencontre inopinée avec l’équipe de France de football qui effectuait
déjà des stages là-bas, un grand moment je vous dis ! J’étais rentré à
la maison avec les Bleus dans la tête, et des bleus sur le corps aussi,
à cause des chutes. Mais je m’égare, je m’égare ! Retournons sur le
sentier de la banque.
Il n’y avait pas foule au Crédit Bulle !
Une conséquence du mauvais temps, me disais-je avec raison (j’ai
toujours raison de toutes façons). Tant mieux, j’allais pouvoir rentrer
plus vite, quoique la chaleur ambiante incitait plutôt à rester.
Lorsque j’étais rentré dans le bâtiment, ça avait été la Blitzkrieg. La
buée avait envahi mes lunettes plus vite que les Allemands la France en
40 ! Oui, bon, je sais, cette référence n’est pas du meilleur goût mais
elle n’intervient pas par hasard. Sachez que je ne fais jamais les
choses à moitié, et que je vais toujours au moins jusqu’aux trois
quarts.
Tout cela pour dire que soudainement, j’entendis hurler :
« Haut les mains ! ». Surpris de ne pas entendre la suite de la blague,
le très célèbre « Peau de Lapin ! », je compris rapidement que celui
qui avait lancé cette phrase n’était pas un farceur. Et je commençais
alors à regretter le temps béni où mon seul souci était de décongeler
mes pieds…
A suivre…