Les taxes Hirouge
Que les malandrins qui croyaient que j’étais en
vacances s’auto-flagellent avec des orties campagnardes ! La raison de
ma longue absence est en réalité due à la rentrée universitaire, qui
offre son lot de difficultés insurmontables si l’on ne prend pas le
temps nécessaire pour les résoudre.
Outre les préparations de cours
– j’en ai prévu un de toute beauté sur le rôle du chiendent dans la
culture occidentale – et les problèmes administratifs à s’arracher les
cheveux - ou pour moi à se décoller la moumoute – j’ai été sollicité à
plusieurs reprises par ma hiérarchie afin de donner mon avis sur
différentes questions.
La dernière sollicitation en date, qui
est l’objet de mon intervention du jour, fut celle de celui qu’on
appelle le doyen du département d’Histoire, en raison de son âge avancé
d’abord, mais aussi et surtout parce qu’il est le directeur de l’unité
de formation et de recherche (UFR), et donc qu’il ne faut pas rigoler
avec lui sinon pan-pan fesses-fesses. Enfin, ceci était surtout vrai il
y a quelques années car depuis quelques temps, il perd un peu la tête.
Toujours
est-il que, fort de son autorité et de son prestige, Fernand Hirouge,
c’est son nom, abordât avec confiance son dernier entretien avec moi.
Il voulait me présenter sa dernière idée de réforme, une parmi tant
d’autres que nous appelons entre collègues les taxes Hirouge, car nous
trouvons cela drôle. Oui, nous nous contentons parfois de peu.
Croyant
qu’il faisait appel à moi pour mon expérience et mon génie connu de
tous, je dus rapidement déchanter, ce qui est évidemment une image
étant donné que je ne chante jamais en sa présence, et je chante
d’ailleurs très peu, même quand je suis seul. Mais je m’égare
d’Austerlitz.
S’il m’avait convoqué dans son bureau, c’est parce que
sa dernière idée me concernait de près. En effet, sa dernière lubie
était d’interdire tout accessoire de beauté dans l’enceinte de
l’université, et ce disait-il pour « appliquer la transparence du monde
politique au monde universitaire ». En d’autres termes, il voulait que
tout le monde assume sa personnalité, y compris son physique. Finis le
rouge à lèvre pour les enseignantes, les lentilles pour les myopes, et
a fortiori la moumoute pour Riton. Telles étaient entre autres ses
volontés. Les réfractaires au règlement se verraient obligés de payer
une taxe de cinq euros par jour, plus un paquet de gâteau pour son
goûter de seize heures.
Vous comprendrez alors mon indignation à
l’idée de me promener nu-tête dans les couloirs, ou d’acheter des
petits Lu à un grand-père. Sous le coup de la colère, je me mis à lui
dire qu’il était totalement à côté de la plaque, que sa décision était
despotique et qu’il se permettait ça parce qu’il était laid comme un
poux, qu’il n’avait plus un poil sur le caillou, et qu’il n’était du
coup pas choux du tout.
Il se mit alors en boule, tel Sonic le
hérisson, que je ne connais pas mais que mes étudiants ont en mémoire,
et il m’expliqua que ce retour au naturel, en vogue avec le mouvement
écologiste actuel, était nécessaire pour une bonne image de
l’université. Je compris alors qu’il était complètement décati et gaga,
telle Lady, que je ne connais pas mais que mes étudiants n’arrêtent pas
d’écouter.
Je décidai alors de mettre un terme à notre discussion,
en sachant de toute manière que son idée ne serait jamais acceptée par
les membres du conseil d‘administration de l’université, que je ne
connais pas, et mes étudiants non plus.
Pour bien terminer, je
décidai de lui envoyer cette merveilleuse réplique dans les oreilles,
sans passer par la Poste : « Vous me comparez à une cruche ayant besoin
de s’immerger, et vous faîtes bien car tant va la cruche à l’eau qu’à
la fin elle se casse ! ». Et je partis, le laissant bouche-bée dans ses
babouches.
Je viens d’apprendre que suite à cette proposition,
le doyen a été envoyé en maison de retraite. Giscard, Balladur et
Jacques Balutin vont en baver, ayons une pensée pour eux.
FIN.