Les Autochtones de Cacataba (6/6)
Nous trempâmes nos doigts pour nous assurer que nous ne rêvions pas.
L’eau merveilleuse était face à nous, mais elle était si pure et si
limpide qu’on la distinguait à peine. Au moment de la goûter, je ne pus
m’empêcher, surpris, de lâcher un "Yerk" de mauvais aloi, qui fit rire
le chef. Cette eau était tellement parfaite qu’elle n’avait pas vraiment
de goût.
Tout émerveillé que j’étais, je ne vis pas Miguel,
anxieux, s’approcher de son sac. J’eus à peine le temps de constater
avec stupeur qu’il en sortait à revolver que déjà il s’écriait :
"Haut
les mains vous deux ! Et pas de blagues !"
Je n’avais pas
vraiment l'intention de m'adonner aux blagues, et la tête que faisait le
chef me laissât à penser que lui non plus. Nous étions stupéfaits par
ce retournement de situation digne de mes plus grandes enquêtes !
"Miguel,
dis-je, ce n’est pas possible. Qu’est-ce qui te prends ?
-Je ne suis
pas Miguel, rétorqua-t-il, mais Bernardo Lama, son frère jumeau !
-Quoi
? lançai-je, horrifié.
-Eh oui ! Il ne t’a jamais parlé de moi,
n’est-ce pas ? Je suis la honte de la famille... Bernardo Lama le
renégat, ancien gardien de putes du Bar Thèse, un endroit malfamé de
Paris. Après un séjour en prison, je suis d’abord devenu charbonnier,
avant d’être engagé par des consortiums industriels du savon et de la
lessive qui m’ont de nouveau poussé dans l’illégalité. Ma véritable
mission est de détruire la statuette sacrée des autochtones, afin que
leur eau ne puisse jamais concurrencer les produits toxiques de mes
employeurs ! Ces derniers ont peur que votre secret, Monsieur le chef,
finisse par être dévoilé au monde entier, et ça, bien sûr, ils ne le
veulent à aucun prix ! Ha ha ha, je vais être richement récompensé !"
Pendant
que Miguel, qui n’était pas Miguel mais Bernardo, était pris de folie
et nous racontait sa vie et ses objectifs, il ne voyait pas une ombre
s’approcher de lui. C’était Émilien, qui avait eu la bonne idée de nous
suivre en cachette, et qui assomma d’un coup sec notre malfaiteur avec
une grosse pierre grise ! Sous le coup de l'émotion, nos cœurs dansaient
alternativement la samba brésilienne et le tango argentin !
Les
minutes suivantes, je restais médusé devant ces événements récents. Le
chef et Émilien sortirent Bernardo de la grotte et l’attachèrent
solidement à un arbre. Alors que je m’inquiétais de devoir rentrer seul
avec ce malfrat dans les pattes, les autochtones de Cacataba eurent une
idée géniale. Ils confièrent Miguel à leur
chirurgien-docteur-anesthésiste, qui s’occupa de nettoyer son cerveau
avec l’eau miraculeuse. Suite à l’opération, Bernardo devint gentil et
fondit en larmes devant cette brave peuplade, en jurant que jamais plus,
il ne causerait de tort à qui que ce soit. "Ayez confiance, Monsieur,
me dit-le chef, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
ici. L’eau merveilleuse agit sur nos cerveaux et rend nos esprits purs.
Monsieur Bernardo en aura bénéficié !"
N’étant plus à une surprise
près, je pris la nouvelle avec un certain calme, là où un individu
normal aurait pété une durite, pour parler vulgairement.
Vint
ensuite le temps des adieux déchirants et des mouchoirs humides. Un
sommelier apporta de l’eau merveilleuse dans des flûtes à champagne, et
nous trinquâmes à notre rencontre ! Je fis le serment de ne jamais
révéler l’emplacement de l’eau et de la statue à quiconque. "Gargamel,
le vilain sorcier, ne trouvera jamais votre village, déclarai-je alors",
et tout les autochtones éclatèrent de rire car ils avaient lu les
Schtroumpfs.
Sur ces bons mots, Bernardo et moi regagnâmes la
civilisation via Cacataba, puis de là l’aéroport de Bernarébianca et
enfin la France. Nous allâmes délivrer le véritable Miguel, que son
frère avait emprisonné dans sa cave à vin. Il était ivre-mort d’avoir
vidé toutes les bouteilles, mais il était sauf.
Quand à moi, je
comprenais enfin pourquoi Miguel s’était retrouvé au lit à mes côtés au
début de cette histoire. Bernardo avait pris sa place quand il était
rentré chez lui et avait profité de mon état d’ébriété inhabituel pour
que je ne m’en rendisse point compte. Je n’avais pas rêvé finalement,
mais l’invraisemblance de cette histoire me laisse le bénéfice du
doute...
FIN.